Bleine – Marthod

21 août 2020
Bleine – Marthod

https://parapente.ffvl.fr/cfd/liste/vol/20292148

Il est loin le temps où je partais systématiquement à l’aventure sans me soucier du retour… S’en est même devenu assez frustrant, j’ai énormément envie de faire une belle distance libre estivale, faire une méga journée d’auto-stop le lendemain avec mes souvenirs plein la tête, mais le temps manque.  Depuis les 2 ans que je vis à Tourrettes-sur-Loup, même si je n’ai pas pu sortir des gros vols, j’ai quand-même le sentiment d’avoir progressé dans certains domaines, sans jamais avoir eu l’occasion de traduire cela par une bonne vieille échappée vers le nord.

Et en cette mi-août je vais devoir aller à Annecy chercher ma fille Olga… Et si c’était l’occasion rêvée pour me décider à y aller en volant ?

En plus, arriver en vol à Annecy, c’est mon Graal, vu que j’y suis né et que j’y ai ma famille. J’ai toujours rêvé d’y finir un gros vol, sans que ça en devienne une obsession pour autant. Les années passent et je compte à la fois sur LA bonne journée et sur les progrès matériels pour rendre cela possible en un seul vol, un jour. Et si c’était possible demain ?

Les conditions semblent un peu limites au niveau du vent (fort), mais avec un peu de chance ce serait quand même possible de tenter ce « one shot ». En cas de difficulté, j’ai aussi possibilité de me rabattre sur un rythme moindre : Julien et Nico partent en vol bivouac depuis Bleine. Je pense tenir un minimum la route pour quelques montées à pieds. Marcher n’est pas trop mon truc habituellement, mais cet été je me suis bien aguerri.  J’ai en effet dépensé pas mal d’énergie en faisant des tas… de merveilleux souvenirs où après la vache, sous le coup de la colère, j’ai entamé des remontées suffocantes aux heures les plus chaudes de l’été. Une petite dizaine de marches, pas forcément énormes, mais elles m’ont endurci.

C’est donc décidé j’irai à Bleine, demain avec Julien et Nico, en me laissant la possibilité de bivouaquer. Comme c’est un plan de dernière minute, le sac est prêt après minuit. Tente en mode tarp, drap en soie, petit tapis de sol et réchaud minimaliste avec une assiette alu et 2 lyophilisés… ainsi qu’une radio chargée. Le surpoids n’est pas énorme. 1gros kg probablement. Au déco je me grefferai sans vraiment m’engager : si c’est bon je tracerai, si c’est médiocre je temporiserai et volerai avec les aventuriers.

My gearlist !

Je vous épargne la photo de matos savamment posée, façon aventurier de magazines, qui ne m’est pas venue à l’esprit 😉  Donc voici simplement le matériel embarqué :

  • Tente Vaude power Lizard en mode tarp
  • Batons Black Diamond Carbon truc
  • Couverture de survie + film plastique polycree
  • Tapis de sol nemo 2/3
  • Drap de soie + Ozone Zeno en couverture
  • Rechaud Esbit + une boite de pastilles de carburant + allumettes
  • Poelle Alu
  • Couteau « Cruel Girl » aiguisé au max, à ne pas mettre entre toutes les mains
  • cuiller-fourchette en plastique
  • 3 Lyophilisé 3 thés
  • Barres de Céréales dos Brazil données par Julien

Au niveau des prévisions, c’est limite… La météo annonce 30 de sud à 2500 et encore davantage + haut, avec belle instabilité. Il y a une chance sur 2 que ce soit trop fort. Je fais quelques rêves de vol en très grosses conditions, me laissant dériver dans le courant en jouant sur les placements, en résistant aux pires vagues et en canalisant peurs et effroi.

Le matin je ne suis pas trop mal. Je me met dans un état d’esprit relax. Si ça marche c’est bien, sinon l’expérience du bivouac sera sympa.

J’arrive au déco tôt et je me prépare tranquillement. Il faut un petit moment pour tout remettre dans la sellette mais ça va, j’avais validé la config’ à la maison. J’ai le temps de discuter un peu avec les bivouaqueurs et les autres copains.

Je décolle vers 10h20. Le premier thermique est très doux, c’est super agréable. C’est rare de tomber sur un Bleine en mode tout facile. Mais passé les quelques premiers instants à profiter, il faut bien constater que cela sort pas. L’heure va tourner. De plus en plus de pilote décollent pour se joindre à la galère : Jo et Loliv… puis les 2 bivouaqueurs Nico et Julien.

On bricole, on sent qu’il y a du vent au dessus. Jo se lance et je lui emboite le pas avec Loliv. Les gars sont chauds, on sent qu’ils volent souvent 😉

Bilan : 1 heure de perdue, c’est déjà mort pour Annecy 🙁

Bernarde Sud :  Jo m’embarque vers l’Ouest alors que je serais naturellement allé me frotter aux faces Est. Finalement on se ravise, on sort et on se quitte. Il part vers la crête des Serres. Je file vers le Puy de Rent.

Comme d’habitude, je pèche après avoir traversé la vallée. Je me retrouve dans la situation de devoir choisir entre les faces Est et les faces Ouest. Un jour il faudra bien que j’ose essayer l’Est… car à l’Ouest même si ça ne pose pas, c’est encore des minutes qui tournent, la bricole et la galère. Pour tout dire, cette stabilité et ce manque de punch en basses couches m’agacent fortement depuis le début.

Une fois ressorti, ça pousse et ça monte proprement. J’adore le Cordeuil, un des seuls coins où on est certain de ne jamais perdre de temps, surtout si comme aujourd’hui je choisi de passer par la montagne de Chamatte.

Je passe le col de Vachière après un relai vers cette montagne de Chamatte où j’ai enroulé avec une belle dérive en me forçant à rester haut. Ensuite les crêtes et leurs faces ouest ne donnent rien mais je peux néanmoins atteindre le Trauma facilement.

J’entends Julien adbiquer à la radio en annonçant que certaines balises donnent du 60kmh. Je ne suis pas vraiment habitué à voler avec une radio mais c’est pour ce genre de situations que je vole généralement sans. Je coupe le son et je reste relax. Je me fierai à mon instinct et à ma raison, comme d’hab. Les vitesses de mon GPS ne m’alertent pas, pas de soucis.

J’arrive à Saint Vincent. Pas une aile. Ah si ! 2 ailes rouges peu allongées, assez hautes genre 3.000 avec une trajectoire très bizarre, semant la confusion (Genre Morgon > Télésiège de la crête direct). Je décrète qu’il faut arrêter de cogiter car je ne comprendrai pas.

En revanche, personne à Saint Vincent, même pas d’ailes déployées, de sacs ou de bonhommes.

Je traverse le premier bras du Lac et j’enroule très tôt : pour autant, ça pousse et ça me décale bien derrière le Morgon. Je fais seulement 2800 mais j’arrive à garder une belle trajectoire porteuse en traversant le lac. Du coup je tente Chabrières : avec encore 2700 sur l’autre rive je décide de continuer.

Ensuite ça dégueule et ça contre en basses couches, moment de doute ! Mais avec le flux de sud je peux enrouler les premier thermiques sans trop dériver et raccrocher les crêtes. Je suis contré, mais surtout, je n’arrive pas à m’élever ça décale trop. La malédiction des basses couches reprend. Je rage de voir des nuages à 3000 m au dessus de ma tête. J’aurais mieux fait de me faire satelliser au Mont Guillaume !

Le bricolage se poursuit comme prévu après les Richards, j’ai beau m’appliquer, je n’y arrive pas. C’est assez frustrant car je perds un temps fou à voler de cette manière. Je traverse une vallée et je me retrouve maintenant dans la stabilité à faire des trajectoires incertaines au dessus d’une énorme barre rocheuse. Je ne suis vraiment pas à l’aise, il faut grignoter mètre par mètre en faisant des arabesques et surtout ne pas avoir de soucis à cet endroit. Finalement ça sort quand je peux passer mes ailes dans le flux pseudo-catabatique (venant de l’Est). Je commence à toucher un thermique de force honorable, le vario commence à biper sans blancs, je me sens libéré… Mine de rien, de puis Chabrière ça fait un moment que la frustration gagnait…. Malheureusement, à peine ai-je passé le sommet que tout devient subitement archi-dégueulasse, c’est plus fort, mais surtout tellement turbulent et venté que je dois enrouler carré avec des phases de vol droit pour ne pas trop me faire décaler. Lors de ces phases je me sens très vulnérable et je dois me faire violence. D’ailleurs, après quelques tours à un moment je n’ai plus l’énergie mentale d’y retourner. C’est trop pour moi. Je tangente et transite au lieu de retourner dans le ring : la fuite. Et pour solde de ces quelques secondes de soulagement… je me fais massacrer 10, 20 secondes.

Je traverse la vallée et j’hésite à me laisser emporter dans les basses couches jusqu’à ND de Sallettes. La perspective d’être totalement scotché par la brise, dans la stabilité, au dessus des pentes herbeuses a quelques chose de désirable en comparaison acrobaties imprévisibles et engagées au dessus des rochers et des pics que je viens de subir en mode « thermique ». Mais bon, le commandant de bord sait la galère et le temps perdu que ce serait pour remonter, le stress de transiter bas…. Je dois donc retourner au combat dans les montagnes. Même scénario, j’arrive assez haut, je trouve un truc qui monte correctement et très vite ça devient infect. Je me bats et pour la seconde fois, à un moment je dois abdiquer.

J’ai assez pour passer le monastère sans m’arrêter, ça valait le coup de se faire violence ! Je me suis tellement fait emporté par le vent de Sud d’altitude précédemment que je suis certain de finir mon ascension du Coiro en dynamique. Je m’engage 50m sous les crêtes et rien ne monte. Je choisis de faire demi tour et forcer le passage contre la brise pour me repositionner à l’Ouest. Cela monte d’une manière assez saine, enfin. Je décide de partir m’appuyer sur les crêtes au Nord pour arriver sur le Taillefer. Finalement ça plane assez mal et je vais au plus court. J’arrive bas mais ce n’est pas un problème ici.

Je remonte facilement et j’arrive à garder un truc que je me suis mis à enrouler à mi pente. Du coup, pas la peine de me repositionner, je reste dans le thermique. Je suis heureux d’avoir moins de difficultés à rester dans le thermique et à remonter au vent que précédemment… et bam ! En 10 secondes ça devient la guerre, je me refais violence, et j’abdique, je ne sais plus si je perds le thermique ou si je suis las, en tout cas j’ai sacrément peur. Je commence à connaitre la musique.

Je suis à peine à l’altitude du sommet principal qui est un peu plus au Sud-Est. Cette chaine est massive, et vu la force des éléménts, je sens que je ne vais pas être à moitié sous le vent… Je n’ai que quelques secondes à attendre le mode essorage : et bam ! L’aile fait n’importe quoi de manière très sèche et à un moment je dois être un peu dépassé et m’en prends une grosse complète qui rouvre instantanément.  Je me remets au boulot sans trop avoir le temps de réfléchir et tout finit par se calmer au milieu de la vallée.

J’arrive à Mach 2 sur Chamrousse, bricole en décalant vers la boule. Puis à l’espèce boule, l’ascendance est intenable, trop venté… Je poursuis et trouve un beau thermique assez sain… A peine ai-je le temps de réaliser que je vais arriver à l’altitude des hautes crêtes du massif que je me fais défoncer, détruire, tabassser. J’essaie de tenir un ou 2 tours car ça m’arrangerait de faire un énorme plaf pour éventuellement songer à traverser vers Saint Hil, ce qui pourrait être une option pour Annecy. Mais la question elle est vite répondue : des turbulences infectes, y rester est au dessus de mon niveau 🙁

Evoluant protégé par les hauts reliefs, je n’ai plus qu’à gérer un moindre problème, la lisibilité de l’aérologie avec ce fort flux de Sud. Je m’en tire assez bien 7 Laux, Allevard puis encore une transition. Je sors l’appareil photo, je n’y ai absolument pas pensé avant.

 

Il commence à se faire tard et les thermiques deviennent assez mous. Je profite enfin du vol en essayant de rester le plus haut possible et de me faire plaisir. Je crois bien que s’en est fini lorsque je ne tiens pas ma position sur une crête et je dois traverser très bas dans la Maurienne.

Je survole une magnifique fôret. Elle est majestueuse, avec des arbres de diverses essences qui doivent faire 30 m de haut pour la plupart. J’arrive à trouver quelque chose et finalement je peux patiemment remonter. C’est magique.  La forêt est maintenant sertie d’une arrête que je travaille, quelques oiseaux montent en dessous, lentement eux aussi.

Au dessus de l’arrête, une sorte de plateau avec de petits lacs. Arrivé au dessus des lacs il m’est impossible de me hisser plus haut. Je n’ai que quelques dizaines de secondes pour me décider : me poser près du Lac pour dormir ou pas ? Ce serait assurément, du point de vue esthétique, une nuitée magique, ponctuant de belle manière le vol ! Il est presque 20h je n’irai pas significativement plus loin.

Tout va alors très vite dans ma tête, en vrac :

  • terrain plat ?
  • marche et orientation pour le lendemain
  • heure et potentiel de vol restant
  • méteo du lendemain
  • patous loups ours grizzlys panthères tigres talibans ?
  • flemme ?
  • diner prévu ?
  • quid d’une descente à pieds si lendemain pourri ?

Bon, évidemment je n’ai pas répondu à toutes les questions, mais le fait est que je file et que je vais plutôt glider pour dormir en vallée !

 

Il s’agit de contourner le grand Arc puis de me jeter dans le glide au dessus d’Albertville qui passe à l’ombre. Malgré mes incantations, et les belles finesses je n’arriverai pas jusqu’à Ugine. Il est 20h30 je pose à Marthod à quelques kilomètres.

Sur le coup je suis heureux et je ressens un sentiment d’accomplissement, le vol fût très éprouvant. J’ai aussi un peu d’amertume de ne pas aller jusqu’à Annecy ou Chamonix mais entre l’heure perdue au début du vol, le chemin de croix dans les basses couches après Chabrières et la date tardive dans la saison, c’était plié d’avance. Mais bon… avec une heure de plus…

C’est quand même super heureux que je marche jusqu’à Ugine où m’attends une Guinness, puis Marlens où je m’installe.

Je tire le mauvais lyophilisé : riz poulet coco beurk puis bivouaque.

Il pleut le matin. Je vais ensuite boire le café chez Cindy et Sylvain qui me montent ensuite au déco de Marlens. Malheureusement, après avoir bataillé dans une masse d’aire dégueulasse et humide pour trouver 1300 max et un fort flux de Sud-Ouest, je renonce et décide de finir à pieds plutôt que d’attendre le milieux d’aprèm que les conditions deviennent, c’est prévu, propices. Après 2 heures de marche, je vois un panneau de rando : « Doussard 1h45 » alors que je pensais être moins loin. Tout cela n’a plus vraiment de sens pour moi et la chaleur devient fortement pénible, je fais donc du stop jusqu’à Planfait où ma super cousine Véro vient me chercher.

Je me vautre alors dans sa piscine au col de Bluffy, avec une superbe vue sur les dents de Lanfont pour évacuer toute cette chaleur ainsi que le stress de la veille. Je rêve qu’un jour j’y arriverai en volant…